La Transition écologique, si nécessaire, est mal partie…. De fait, « l’Empire -énergivore et productiviste – contre-attaque » ! Et cela de toute part, sous toutes ses formes, et sur tous les continents. Les dernières semaines ont été marquées par une cascade de renoncements en la matière de la part de l’Exécutif français. Le chef de l’Etat français et son gouvernement n’ont pas cessé d’afficher leur soutien affirmé à la « bagnole », au « béton » et aux pesticides, à des années lumières des engagements pris durant la campagne électorale de 2022 et de l’effort nécessaire pour respecter les objectifs adoptés lors des Accords de Paris de 2015. Dans le même temps, outre les agriculteurs dans toute l’Europe, nombre d’industriels et de financiers de secteurs énergivores et polluants n’hésitent plus à contester ouvertement les normes environnementales qui leur ont été imposées au cours de la décennie écoulée, redevenant sourds et aveugles aux alertes de la communauté scientifique.
Mais bien pire pourrait encore survenir en cas de victoire de Donald Trump lors de la présidentielle américaine de novembre prochain. Jeter un coup d’œil sur ce qui pourrait faire office de programme en matière d’ environnement s’avère particulièrement édifiant (et glaçant) !
Sus à l’IRA !
Le candidat républicain entend en effet démantibuler des pans entiers de la mesure phare de l’Administration Biden, l’Inflation Reduction Act (IRA) qui vise à adapter l’économie américaine aux impératifs du changement climatique tout en relocalisant de nombreuses activités « propres » sur le sol états-unien. Richement doté de 370 milliards de $ de subventions fédérales, ce plan cherche à attirer de nombreuses « industries vertes » (éolien, solaire, véhicules électriques, batteries, pompes à chaleur, réseaux électriques intelligents…), avec comme objectif de créer quelques 200 000 emplois adaptés aux temps nouveaux de l’économie décarbonée. Il s’agit pour l’Administration Biden, à la fois, de contribuer à la réindustrialisation du pays (quitte à ce que cela se fasse parfois au détriment de ses partenaires européens), mais aussi de respecter les engagements pris par Washington dans le cadre des accords de Paris sur le climat. L’objectif affiché de réduire de 42% les GES émis par l’économie américaine d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005.
Ce plan très ambitieux constitue la « grande œuvre » du président Biden, l’empreinte qu’il pourrait laisser dans l’Histoire à l’image du New Deal du président Roosevelt. Il est de ce fait honni par la frange la plus extrémiste des Républicains, et son abrogation constitue une sorte d’obsession pour une partie du camp conservateur, à l’image du Project 2025 concocté par la très droitière Heritage Fondation. Ce document entend fournir une feuille de route à une éventuelle administration « néo-trumpiste » durant la période symbolique des « 100 jours », début 2025, en cas d’éventuelle victoire du fantasque Donald T.
S’il suit les recommandations de ce document, le « président » Trump devrait très rapidement s’atteler à méthodiquement détricoter l’IRA et revenir sur une bonne partie de ses objectifs. Sans même évoquer un nouveau (et hélas très probable) retrait des accords de Paris, le leader républicain, sous l’influence de lobbies « extractivistes », compte bien remettre à plat certaines mesures mises en avant par son prédécesseur, en s’attaquant à leur financement, qu’il s’agisse des crédits d’impôts en faveur de l’acquisition de véhicules électriques (VE) ou de subventions en faveur des énergies propres. Des mesures pourtant ouvertement destinées à réduire les émissions de GES qui provoquent le réchauffement de la planète, ce dont se fiche l’Amérique trumpiste. Le mot d’ordre du camp républicain ne sera alors plus seulement MAGA (Make Americain Great Again) mais plutôt RAPA (Restoring America Pollution Ability) !
Cette aversion pour l’IRA n’est pas seulement idéologique : elle s’explique également pour de basses raisons fiscales et électorales. Les réductions d’impôts pour les particuliers mises en place par le Président Trump durant son premier mandat doivent s’achever en 2025 et leur éventuelle reconduction par le nouveau président, soucieux de caresser son électorat, nécessitera de couper ailleurs dans le budget fédéral. A ce titre, les financements « verts » de l’administration Biden constituent- des cibles de choix, et tant pis pour le bilan carbone. Semblent tout particulièrement dans le collimateur, les crédits d’impôts pouvant monter jusqu’à 7500 $ pour l’acquisition d’un véhicule électrique. La dénonciation des VE, trop chers et à l’autonomie trop réduite est devenue un argument récurrent de la campagne du candidat Trump (“The damn things don’t go far enough, and they’re too expensive »). En campagne en Iowa, gros producteur de maïs, et donc d’éthanol servant de biocarburant, il ne s’est pas privé de critiquer la mobilité électrique (un truc de Chinois) pour vanter les mérites des bons gros moteurs thermiques américains consommant goulument du bon pétrole et du bon éthanol made in USA…
Priorité à la préservation des intérêts du secteur extractiviste
Ce changement radical d’orientation devrait très fortement nuire aux industries vertes émergentes (et ouvrir ainsi un « boulevard » à l’échelle mondiale à ces secteurs pris très aux sérieux en Chine) et plus globalement impacter négativement le climat d’investissement général aux Etats-Unis. Une tendance qui pourrait, très paradoxalement constituer une bonne nouvelle pour l’économie européennes en incitant certains industriels du Vieux Continent ayant annoncé vouloir délocaliser certaines de leurs activités aux Etats-Unis en raison des promesses de l’Ira, à renoncer à leurs projets.
Tailler dans les subventions aux énergies « propres » devrait constituer un autre axe majeur de la politique « environnementale » néo-trumpiste. Par énergie propre, il faut entendre, au-delà des simples énergies renouvelables traditionnelles (solaire, éolien, hydroélectricité), le nucléaire, la bioénergie, et les systèmes de captation du carbone devant équiper centrales thermiques ou sites industriels trop énergivores. Véritables énergies vertes et solutions techno-solutionnistes relevant plus du greenwashing que d’une lutte efficace contre les GES sont pareillement stigmatisées par le lobby des énergies fossiles, incarné – entre autres – par le secteur pétrolier texan, très actif soutien à la nouvelle candidature de Donald Trump. Le retour aux affaires de leur candidat préféré devrait se traduire par une nouvelle vague d’allègement des normes environnementales et une relance de l’activité pétrolière dans le golfe du Mexique et dans les régions arctiques de l’Alaska tout comme la poursuite de l’exploitation des gaz de schistes et la construction de terminaux d’exportation de GNL dont les consommateurs européens sont en passe d’être très (trop) dépendants. Autant d’orientations qui vont replacer Washington totalement en dehors des engagements définis par l’Accord de Paris de 2015 qui devrait très rapidement être de nouveau dénoncé comme obstacle à la préservation de l’American Way of Live telle que l’appréhende la grande majorité des électeurs trumpistes.
En complément à ces deux cibles principales (VE et énergies propres), le détricotage de l’IRA devrait également donner lieu à la suppression des crédits d’impôts ou subventions pour l’installation d’infrastructures de recharge pour les VE ou de panneaux solaires et pompes à chaleur, mais aussi la suppression de taxes ciblant les énergies fossiles comme la taxe d’accise Superfund sur le pétrole et les produits pétroliers (sensée servir à financer le nettoyage des sites de déchets dangereux) ou les taxes sur les émissions de méthane détectées au niveau des puits, des pipelines ou des usines de traitement. Il ne faudrait pas matraquer fiscalement de généreux donateurs….
Une « antipolitique » plus difficile à mettre en œuvre qu’il n’y paraît.
Toutefois, une abrogation totale de l’IRA est peu probable, la tactique envisagée étant de le sevrer financièrement afin de désactiver ses principaux acquis et ne pas contrarier les intérêts des influents soutiens extractivistes de Donald Trump. Dans sa stratégie « anti-IRA », ce dernier devra cependant se montrer précautionneux et bien peser ses choix, car l’IRA fonctionne plutôt bien jusqu’à présent et peut se prévaloir d’un bon bilan (situation qui ne semble cependant pas particulièrement émouvoir une bonne majorité d’électeurs américains, peu sensibles aux bons résultats économiques enregistrés par l’administration Biden).
En outre, par un curieux paradoxes, les bénéfices de l’IRA innervent très majoritairement des territoires républicains : 8 des 10 circonscriptions ayant le plus bénéficié d’investissements décidés dans le cadre de l’IRA sont détenus par des élus républicains, preuve que l’IRA n’est pas clientéliste et recherche vraiment le « bien commun » pour l’Amérique. Couper aveuglement ces programmes pourraient revenir à se tirer une balle dans le pied pour la potentielle nouvelle administration républicaine. Sénateurs et représentants républicains pourraient se montrer moins idéologues et plus pragmatiques concernant le devenir de l’IRA que le candidat Trump et ses conseillers washingtoniens. Les milliers d’emplois annoncés à l’occasion de l’implantation d’usines de fabrication de batteries par un constructeur européen ayant cédé aux sirènes de l’IRA devraient inciter les élus locaux du Grand Old Party à canaliser la fougue anti-Biden du président réélu.
Enfin, il convient de garder à l’esprit qu’en prévision des résultats bien incertains du scrutin de novembre, les ministères de l’Energie et de l’Environnement et les agences fédérales impliquées dans la mise en place de l’IRA (comme l’EPA / Environmental Protection Agency) travaillent actuellement à plein régime et décaissent à tour de bras subventions et mesures fiscales sur lesquelles la nouvelle administration aura du mal à revenir, une fois les procédures lancées et les engagements financiers pris. Une drôle de course contre la montre est lancée, anticipant un terrible séisme à la fin de l’année. Le scrutin présidentiel américain de novembre n’a pas fini de nous sidérer….