Une COP 28 sous influence des lobbystes « extractivistes »
La COP 28 organisée fin 2023 à Dubaï s’est achevée sur un bilan mitigé. Il n’y avait pas grande avancée à attendre de cette grande messe « médiatico-climatique » tenue au cœur de la quintessence de la gabegie énergétique : Dubaï et sa station de ski sous bulle en plein désert….
Le déroulement de cette COP a, par ailleurs, confirmé certaines tendances déjà perceptibles lors des précédentes éditions, en particulier la marginalisation des acteurs de la société civile (ONG et représentants des peuples premiers) au profit des industriels du secteur extractif et de leurs nombreux communicants et lobbystes. Ceux-ci ont bien dû concéder une référence explicite au rôle des énergies fossiles dans le réchauffement climatique et à la nécessaire réduction de leur usage, mais ont obtenu en contre partie que le gaz soit mentionné comme une « énergie de transition », au grand dam des ONG environnementalistes, et surtout, profité de l’occasion pour vanter les mérites des technologies de récupération et de stockage du CO². Celles-ci sont sensées contribuer à la réduction de l’émission des GES, tout en permettant la poursuite de l’exploitation des énergies fossiles, les effets bénéfiques des uns permettant de compenser les effets négatifs des autres. Soit l’art d’avoir le beurre et l’argent du beurre.
Une telle martingale semble a priori très séduisante pour tenter de ramener les émissions de CO² à zéro à l’horizon 2050 et limiter ainsi le réchauffement sous les 1,5° conformément aux accords de Paris. Mais son efficacité réelle est sérieusement remise en cause par nombre de scientifiques, d’ONG et experts de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE). Ceux-ci doutent de l’efficacité de telles technologies « miracles », n’y voyant que de la poudre aux yeux technosolutionniste destinée à justifier la persistance de la production d’énergies fossiles au-delà de 2050.
Alors que la consommation d’énergie fossile a atteint, fin 2023, des niveaux record (102 millions de barils /jour) et devrait encore progresser au cours de la décennie à venir, certaines voix susurrent qu’il serait possible de compenser l’usage persistent des énergies fossiles par le recours à des technologies d’élimination du carbone dans l’atmosphère (EDC en français ou CDR pour Carbon Dioxyde Removal en anglais, la lague des COP). Ces CDR regroupent des solutions biologiques (préservation des puits de carbone constitués par les forêts tropicales, les tourbières et le phytoplancton des océans ; reforestation de zones déboisées ; cultures pour la bioénergie) mais aussi technologiques, activement mises en avant par une pléthore de lobbystes les présentant comme des outils climatiques aussi précieux qu’incontournables.
Deux types de solutions technologiques de captage et de stockage sont ainsi évoquées. La première consiste en des sortes d’aspirateurs géants à CO2 destinés à filtrer l’air (DACCS / Direct air carbon capture and storage). La seconde repose sur des dispositifs visant à récupérer le CO2 directement à la sortie des « cheminées » des sites industriels émetteurs (cimenteries, usines sidérurgiques, installations chimiques…). Elles sont connues sous l’appellation CCUS (Carbon Capture, Utilisation and Storage / captage, stockage, transport et valorisation du dioxyde de carbone). Dans les deux cas, le carbone capturé est destiné à être enseveli sous terre. Avec de tels procédés, le CO² n’est plus considéré comme un simple déchet polluant mais comme un bien de valeur servant à alimenter un nouveau secteur d’activités (stockage, acheminement, enfouissement, voire valorisation, du CO²).
Le technosolutionnisme au service du « business as usual »…
Grâce à de telles solutions, ne serait à proscrire que l’usage d’énergies fossiles sans dispositif de capture des émissions de GES, qualifiées du terme technique de « unabated » (pouvant se traduite en français par « sans capture de carbone »). A contrario, les énergies fossiles consommées sur des sites équipés avec des dispositifs CCUS seraient étiquetées « abated » et resteraient ainsi utilisables sans restriction. Les experts n’auraient qu’à définir les normes définissant chaque catégorie. Le qualificatif « abated » pourrait ainsi être décerné en cas de captage d’au moins 90 % du CO² émis par une installation industrielle ou de 50 % à 80 % des émissions de méthane, voire moins en fonction du rapport de force s’exerçant au sein de ces comités techniques. Obtenir une définition précise de ces termes et la fixation d’un taux de récupération consensuel des GES devrait donner lieu à longues batailles entre scientifiques et lobbyistes s’étirant très vraisemblablement sur plusieurs COP et permettant au secteur extractif de gagner encore quelques années d’exploitation.
Rien d’étonnant donc que l’évocation de ces solutions ait suscité un fort engouement à Dubaï. Le secteur extractif est particulièrement en pointe sur ce dossier. Les Majors du secteur extractif, regroupées au sein du lobby de l’Oil and Gas Climate Initiative n’ont eu de cesse de vanter les mérites de telles solutions et entendent investir massivement en leur faveur. Même enthousiasme parmi les principaux pays producteurs d’hydrocarbures et de charbon (Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis, Canada, Australie) ainsi qu’aux Etats-Unis, redevenus ces dernières années le principal pays producteur de pétrole. Washington a déjà débloqué 1,2 Mds de $ pour financer des projets innovants relatifs aux CDR technologiques. Au total, plus d’une vingtaine de pays sont actuellement engagés en faveur de telles solutions technologiques.
Le projet pilote le plus médiatisé est sans nul doute le projet Mammoth, localisé en Islande. Mais plusieurs projets de taille industrielle, aux capacités nettement supérieures, ont été lancés ces derniers mois, comme le projet Stratos, le plus ambitieux actuellement en cours de réalisation, mis en œuvre par la firme texane Occidental Petroleum (d’une capacité de piégeage de 500 000 tonnes de dioxyde de carbone par an par capture directe dans l’atmosphère et non en sortie d’usine et combiné à un mécanisme de vente de crédits carbone). Plusieurs autres projets majeurs de récupération et de stockage de CO² sont en voie de concrétisation en mer du Nord, portés par des opérateurs principalement scandinaves, britanniques, allemands et néerlandais (projets Northern Lights, Polaris CCS, Porthos…). Fin 2023, pas moins de 500 projets industriels à vocation CCUS pouvaient être recensés, susceptibles d’entrer en activité d’ici 2030. De quoi – théoriquement – récupérer et stocker 1,8% des émissions de GES générés par des énergies fossiles. Soit une goutte d’eau à l’échelle des besoins planétaires.
Ces technologies encore immatures sont néanmoins d’ores et déjà prises en compte dans de nombreux scénarios climatiques à 1,5 °C et 2 °C, y compris au sein du GIEC, suscitant quelques légitimes interrogations sur l’approche « virtuelle » de tels travaux. Si, sur le papier, de telles solutions sont fort attirantes, celles-ci s’avèrent très coûteuses et énergivores. Une quarantaine d’installations de ce type sont déjà en activité à travers le monde, certaines depuis plusieurs décennies, et pratiquement aucune n’est rentable et la plupart sous-performent par rapport aux ambitieux objectifs de récupération affichés. Le volume effectif de C0² capturé et stocké s’avère marginal à l’échelle des besoins mondiaux (45 millions de tonnes de CO² capturés en 2022 alors que les émissions sont près de 1000 fois plus élevées). Utilisées à bon escient, ces technologiques peuvent cependant s’avérer utiles pour résorber les émissions résiduelles de GES de certaines activités industrielles bien précises, qui demeureront cruciales pour l’économie de demain, mais dont la consommation d’hydrocarbures dans un monde à zéro émission nécessitera être compensée ou piégée.
Hormis ces exceptions, de nombreux experts considèrent qu’un usage à grande échelle de ces technologies CCUS n’apparaît guère pertinent en raison du montant des investissements nécessaires à leur déploiement massif (cf. une récente étude de l’université d’Oxford évoquant des montants astronomiques, de l’ordre de plusieurs milliers de milliards de $, qui seraient largement mieux utilisés pour contribuer au développement des énergies renouvelables). A ce premier point négatif, s’ajoutent la dépense énergétique nécessaires à leur fonctionnement et des effets secondaires néfastes susceptibles d’émerger et qui sont actuellement mal appréhendés (détérioration des capacités de stockage dans le sous-sol au fil du temps et risque de fuite sur le long terme).Ce débat sur l’utilisation de ces technologies va constituer au cours des prochaines années un enjeu majeur des futures COP ainsi que pour l’élaboration des politiques publiques de lutte contre le réchauffement. Avec un risque réel de s’égarer sur de fausses pistes technologiques alors que la priorité doit demeurer impérativement la réduction des émissions de GES. Pour cela, le meilleur moyen consiste à ne pas en émettre et à privilégier la sobriété énergétique. Gare aux fausses bonnes idées !