Energies renouvelables : l’émergence du Maroc en tant que leader africain

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Horizon 2035 est heureux de vous proposer une contribution de Bassem Laredj, évoquant la question des énergies renouvelables vue des pays du Sud, en zoomant tout particulièrement sur le cas du Maroc dont le potentiel pourrait s’avérer précieux pour accompagner les efforts européens en matière de transition énergétique. Bassem est docteur en droit international, analyste stratégique et enseignant universitaire en Droit international et Relations internationales. Il est également président/ fondateur du cabinet de conseil, Amane Risk Consulting, spécialisé en Renseignement d’affaires et Risque pays.

Avec le réchauffement climatique et l’impératif de réduire notre consommation d’énergies fossiles, la transition énergétique est devenue ces dernières années un sujet de premier plan mobilisant l’ensemble de la communauté internationale. Même si les engagements étatiques sur cette question varient d’un État à l’autre, voire peuvent actuellement être remis en cause par certains sur fond de logorrhée trumpiste et de regain climato-sceptique, l’objectif final reste le même : remplacer progressivement et de manière globale les combustibles fossiles par des sources d’énergie plus propres et respectueuses de l’environnement.

Si les pays occidentaux, notamment européens, sont aujourd’hui leaders dans le domaine de la transition énergétique, les pays du Sud s’intéressent également de plus en plus à cette question. Plusieurs de ces pays ont ainsi lancé depuis des années des programmes énergétiques d’envergure basés sur des technologies propres et écologiques. Les progrès réalisés par les États dans le domaine des énergies renouvelables (EnR) sont quantifiables dans le classement mondial annuel de la transition énergétique, l’indice « Promoting Effective Energy Transition» (PEET), publié par le Forum économique mondial. Ce classement  évalue 120 pays sur des critères de performance de leurs systèmes énergétiques, en prenant notamment en compte les cadres juridiques et réglementaires, les infrastructures, l’innovation, l’éducation, la capacité des pays à accélérer la transition énergétique, les investissements (…).

Bien que ce classement reste dominé par les pays européens (qui occupent les dix premières places, la Suède première et la France cinquième), plusieurs nations du Sud se distinguent. Parmi ces États, figure le Maroc, qui occupe la 65e du PEET 2024 et apparaît comme l’un des leaders de la transition énergétique sur le continent africain :  premier maghrébin (Tunisie, 89e/ Algérie, 91e) et second africain, derrière Maurice (53e) et juste devant la Namibie (66e).

Un potentiel d’ampleur, en passe d’être mis en valeur

Avec une position géographique stratégique (au carrefour de l’Europe, l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest et le Sahel) et un énorme potentiel en matière d’énergies renouvelables, essentiellement solaires et éoliennes, le Maroc est en mesure d’assurer non seulement sa propre transition énergétique mais aussi de jouer un rôle clé dans celle de son environnement régional, qu’il soit septentrional (Europe) ou méridional (Afrique de l’Ouest). Toutefois, pour atteindre cet objectif, le Maroc doit surmonter un certain nombre de défis tels que la nécessité de trouver les financements nécessaires pour concrétiser ses ambitions énergétiques, à travers notamment la construction d’un nombre suffisant d’infrastructures énergétiques propres. La coopération internationale et régionale et l’utilisation de technologies adaptées apparaissent comme des leviers essentiels pour accélérer cette transition et permettre au Maroc de devenir un acteur majeur dans le développement et l’exploitation des EnR.

Pour rappel, le Maroc dispose d’un potentiel en énergies renouvelables estimé à environ 500 TWh/an, réparti entre l’éolien onshore (350 TWh) et le solaire photovoltaïque PV (150 TWh). De ce fait, l’exploitation optimale de ce potentiel, projetterait le Maroc parmi les grands pays producteurs d’énergie, avec une production annuelle estimée à 86 mégatonnes d’équivalent pétrole (Mtep), soit environ 1,65 million de barils par jour. Avec des ressources au moins cinq fois supérieures à ses besoins énergétiques, le Royaume est en mesurede consolider son indépendance énergétique, mais aussi de devenir un fournisseur régional incontournable d’énergies renouvelables au profit de ses voisins.

Rappelons que depuis de nombreuses années, l’objectif stratégique du Maroc est d’améliorer sa sécurité énergétique en réduisant progressivement sa dépendance aux importations d’énergies fossiles. Face à cette situation et pour répondre aux besoins énergétiques croissants de la population, les autorités marocaines ont décidé d’augmenter l’utilisation des sources énergétiques renouvelables pour la production d’électricité. Ainsi, dès 2008, le Maroc a lancé un  Plan national pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, dont l’ambition était que 42 % de sa capacité électrique totale installée proviennent des énergies renouvelables à la fin de 2020. Cet objectif impliquait la mise en service de nouvelles centrales pour porter la capacité totale à 2000 MW d’énergie solaire, 2.000 MW d’énergie éolienne et 2000 MW d’énergie hydraulique. En 2015, lors de la 21e conférence des États membres de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), le Maroc a annoncé son intention de porter sa capacité renouvelable à 52 % de ses besoins énergétiques totaux d’ici à 2030. Pour atteindre cet objectif, le pays projette d’ajouter environ 10000 MW de capacité renouvelable jusqu’en 2030, dont 4560 MW de solaire, 4200 MW d’éolien et 1330 MW d’hydroélectricité.

Le pays est en passe de tenir cette feuille de route. Aujourd’hui, selon l’Office National de l’Electricité et de l’Eau (ONEE), après la mise en service, en octobre dernier, du parc éolien Jbel Lahdid  de 270 mégawatts (MW), dans la province d’Essaouira, les énergies renouvelables représentent 45 % du mix électrique national. Avec cette nouvelle réalisation, la capacité totale en énergie renouvelable du Royaume atteint désormais 5440 MW dont 2400 MW d’origine éolienne. Avec les nouvelles infrastructures énergétiques et les projets en cours, le Maroc affiche de nouvelles ambitions et prévoit désormais d’atteindre et de dépasser l’objectif des 52% d’énergies renouvelables dans son mix électrique dès 2027. À cette date, les énergies renouvelables devraient être la première source de production électrique dans le pays, devant les sources énergétiques fossiles. À noter que le portefeuille de projets d’énergies renouvelables que l’Agence marocaine pour l’énergie durable (Masen) prévoit de réaliser entre 2023 et 2027 porte sur une capacité additionnelle de 4028 MW, nécessitant un investissement total de plus de 47 milliards de DH.

À moyen et long terme, le Maroc espère être en mesure d’exporter de plus en plus d’électricité issue des énergies renouvelables vers l’Europe et l’Afrique.

Les EnR, nouvel enjeu émergeant au Sahara occidental 

Dans cette stratégie de développement des énergies renouvelables, le territoire contesté du Sahara occidental (appelé « provinces du Sud » par Rabat et considéré par l’ONU comme un territoire non-autonome sur lequel un référendum d’autodétermination doit être organisé pour en déterminer le statut final) apparaît jouer un rôle central pour Rabat.

Le potentiel du Sahara occidental pour les projets d’énergie renouvelable est énorme. Selon une étude du think tank marocain Policy Center for the New South (anciennement OCP Policy Center), chaque km² de désert reçoit une quantité annuelle d’énergie solaire équivalente à 1,5 million de barils de pétrole, et « près de 60 % de la production d’énergie solaire et éolienne du pays est concentrée dans les provinces méridionales du Royaume (Sahara occidental) ». Pour sa part, la Banque mondiale évalue le potentiel éolien offshore du Sahara occidental supérieur de 169 % à celui du reste du Maroc. Ce faisant, la Banque mondiale révèle, une fois de plus, l’énorme importance du Sahara occidental pour l’autosuffisance énergétique tant désirée par le royaume chérifien.

En pratique, selon Bloomberg, le Maroc prévoit de doubler sa production d’électricité à partir d’énergies renouvelables au Sahara occidental d’ici 2027. À cette fin, le gouvernement marocain prévoit de dépenser 21 milliards de dirhams (2,1 milliards de dollars) pour de nouvelles capacités éoliennes et solaires atteignant 1,4 gigawatt. La décision de renforcer ces infrastructures au Sahara intervient après que plusieurs pays, dont la France, l’Espagne et les États-Unis, ont reconnu récemment la souveraineté du Maroc sur le territoire contesté du Sahara occidental, une région qui connaît une augmentation des investissements dans divers secteurs, dont l’énergie et l’agriculture.  Au Sahara occidental, la capacité de production d’électricité propre est actuellement d’environ 1,3 gigawatt, soit près d’un quart de la capacité totale d’énergie renouvelable du Maroc. Le gouvernement prévoit également de construire un câble de 3 gigawatts reliant les centrales d’énergie renouvelable du Sahara occidental au centre du pays et faire ainsi de ce territoire une plaque tournante des énergies renouvelables

En dehors de l’aspect économique, en encourageant les entreprises étrangères à s’installer au Sahara occidental, notamment dans le domaine énergétique, le Maroc cherche à développer ce territoire pour y légitimer sa présence et faire accepter à un maximum de pays l’intégration du territoire au Royaume. L’augmentation du potentiel électrique du Sahara occidental va également permettre au Maroc d’exporter de l’électricité vers ses partenaires européens et ouest-africains et ainsi rendre l’acceptation de sa souveraineté sur ce territoire encore plus large. Le gouvernement marocain a d’ailleurs révélé des plans  pour les investissements massifs dans le secteur de l’énergie au Sahara occidental.  Parmi les projets annoncés,  on peut citer celui de Dahamco SA qui prévoit la construction d’une unité de production d’hydrogène vert et d’ammoniac, celui de TAQA Maroc qui compte installer une usine d’énergie renouvelable pour la production d’hydrogène vert et de produits dérivés, ainsi qu’un parc éolien de 300 MW, tandis que 8 autres parcs éoliens sont également répertoriés dans les régions de Laâyoune et de Sakia El Hamra.

L’ensemble des éléments précités consolide le potentiel énergétique marocain en énergies renouvelables et confirme qu’il s’agit de l’un des plus importants du continent africain. Ce dernier représente virtuellement une capacité de production énergétique (sous forme d’électricité ou demain d’hydrogène vert) équivalente au gaz et au pétrole de grands pays exportateurs d’hydrocarbure. L’exploitation efficace de ces énergies renouvelables permettrait de réduire fortement la dépendance énergétique du royaume, d’améliorer le pouvoir d’achat des citoyens, la compétitivité des industries mais aussi de consolider le positionnement international du Maroc, en tant que  pays exportateur d’énergie propre. Le développement des énergies renouvelables pourrait permettre au Maroc de jouer un rôle fondamental pour l’approvisionnement de l’Europe en énergie verte (électricité ou hydrogène), redessinant ainsi les équilibres géopolitiques et géoéconomiques de la région méditerranéenne.

Les nouveaux engagements européens de neutralité carbone en 2050, formalisés dans le Green New Deal, ouvrent ainsi de nouvelles opportunités pour le Maroc et pour tous les pays de la rive sud de la Méditerranée. Reste à savoir si l’Europe, en pleine tempête « trumpo-énergétique » et alors qu’un nombre croissant de dirigeants du Vieux Continent s’interrogent de plus en plus ouvertement sur la pertinence de poursuivre le Green Deal, saura saisir cette opportunité de partenariat innovant Sud / Nord.

       Bassem Laredj