Redistribution des cartes : les Emirats Arabes Unis, la petite puissance spatiale qui grimpe…

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La course à l’espace n’est plus l’apanage des Occidentaux ou des Russes et des Chinois. Dans ce domaine, la multipolarité s’observe également. Et les Emiratis caressent de grandes ambitions en la matière.

Un séjour à Dubaï ne se limite pas forcément à la fréquentation intensive de malls commerciaux plus gigantesques les uns que les autres ou à des villégiatures dans des hôtels hauts de gamme plantés sur l’île artificielle de Palm Jumeriah. Une visite, bien planifiée, du Museum of the future peut s’avérer fort instructive.  L’institution – à l’architecture spectaculaire – présente une vision très technophile d’un avenir maîtrisé par la science et les innovations technologiques (et tendant à occulter par la même quelques « horizons forts incertains » que devraient malheureusement nous réserver les prochaines décennies). Tout en déambulant entre drones, robots, exosquelettes et véhicules autonomes, le visiteur se voit proposer un bref voyage immersif dans l’espace et dans le temps (2071) le conduisant à bord d’une future station spatiale orbitale avant de redescendre fissa sur terre, en atterrissant au terme d’une séquence plutôt bien faite sur un futur astroport localisé sur une future île artificielle au large de Dubaï. Cette ode fictive au progrès pourrait bien réellement se concrétiser au cours des prochaines décennies en raison des ambitions majeures affichées par les Emirats Arabes Unis dans le domaine spatial et des progrès déjà réalisés au cours des vingt dernières années. Des progrès encore tout récemment soulignés, début mars, par le départ pour un séjour de 6 mois dans la station spatiale internationale (ISS) d’un astronaute émirati, après le séjour express (9 jours) réalisé par un de ses compatriotes en septembre 2019. 

Un programme spatial émirati qui connait des hauts mais aussi des bas, avec l’échec, fin avril, de la mission Hakuto-R conduite par la firme privée japonaise Ispace Inc. Le moment fort de cette mission internationale combinant agences publiques (dont le CNES français) et firmes privées prévoyait, le 25 avril dernier, l’alunissage d’un rover « made in Dubaï », dénommé Rashid, équipé de plusieurs instruments scientifiques dont 3 caméras françaises CASPEX de très haute définition. L’engin devait conduire une mission éphémère d’un jour lunaire, soit 14 jours terrestres, visant à réaliser une analyse géologique et minéralogique très poussée du sol lunaire. Mais l’alunissage trop brutal de l’atterrisseur dans le cratère Atlas n’a pas permis de concrétiser le bon déroulement de la mission et la mise en route du rover.  Un échec qui ne remet cependant pas en cause l’ambitieux programme spatial émirati.

Les EAU, acteur très entreprenant du New Space

La mission Hakuto-R aurait pu s’avérer historique dans l’histoire du capitalisme : pour la première fois, une firme privée aurait pu poser un engin sur un corps céleste. Mais ce n’est sans doute que partie remise. Cette mission avortée incarne parfaitement les contours du « new space », une activité plus seulement réservée à une poignée d’agences spatiales publiques de quelques pays développés et technologiquement matures, tels que cela prévalait depuis la fin des années 50 et l’envolé du 1e Spoutnik.  L’aventure spatiale est désormais accessible à un plus grand nombre de protagonistes (Etats et compagnies privés) et se concrétise par des modalités nouvelles reposant sur un partenariat Public / Privé de plus en plus recherché. A ce titre, des puissances moyennes, pour peu qu’elles disposent d’une base technologique et industrielle minimale et d’un carnet de chèques suffisant peuvent – en optimisant leurs moyens et en exploitant au mieux les opportunités du « marché spatial » réaliser de belles choses. 

La mission de 6 mois dans l’ISS ou la fabrication d’un rover lunaire ne sont que les dernières composantes en date d’un programme spatial très ambitieux annoncé le 12 avril 2017 par les Emirats, lesquels ont su se doter des moyens techniques et financiers pour s’imposer dans le cercle très fermé des acteurs qui comptent (et surtout qui vont compter) dans la géopolitique spatiale au cours des prochaines décennies.

Cette ambition spatiale émiratie est relativement récente et s’inscrit dans une logique de compétition avec le voisin saoudien longtemps dominant en la matière (envoi du 1er astronaute arabe dans l’espace en 1983 à bord d’une navette spatiale et développement de la constellation de satellite de communication Arabsat). Les Emiratis cherchent tout d’abord à à concurrencer les Saoudiens dans le secteur des télécoms satellitaires (lancement de la Thuraya Communications Company en 1997 puis, à compter de 2007, du système Yahsat sur la base de satellites fournis par EADS et Thalès Alenia). Mais au-delà de cette approche purement commerciale de l’espace, les Emirats entendent développer une compétence technologique propre. Une ambition concrétisée avec la création, en 2006, du Mohammad Bin Rashid Space Centre (MBRSC), ne disposant alors que de 5 ingénieurs. Mais cette structure n’a cessé de se renforcer en moyens humains et matériels au fil des années, le centre étant rattaché à compter de 2015 à l’UAE Space Agency (UAESA). 

Space Odyssey à la mode émiratie

Le MBRSC s’est positionné sur plusieurs créneaux de l’activité spatiale.

  • Les Emirats se sont engagés en premier lieu dans un programme satellitaire, en partenariat avec la Corée du sud. Outre quelques nano-satellites construits par des instituts technologiques émiratis (American University of Sharjah), permettant à de jeunes ingénieurs de se faire la main, le MBRSC a tissé un partenariat avec la firme sud-coréenne Satrec Initiative pour la conception des plateformes. Il en a résulté entre 2009 et 2018 la mise en orbite de 3 satellites d’observation (DubaSat-1, DubaïSat-2 et KhalifaSat) aux performances accrues d’engins et engins, et avec une contribution croissante des ingénieurs émiratis dans la réalisation de ces projets.  Une nouvelle étape devrait être franchie avec le lancement en 2024 du MBZ-Sat, un satellite d’observation haute résolution qui devrait être l’engin commercial (non-militaire) le plus performant de toute la zone MENA, conçu et réalisé à 100% par les ingénieurs du MBRSC.
  • A ce programme de satellites d’observation civil, s’ajoute un programme militaire, « Falcon Eye », géré par les forces armées. Les EAU se sont tournés vers la France en 2013 pour la fourniture d’un système d’observation optique de haute résolution reposant sur deux satellites construits par Airbus et Thalès-Alenia Space. Le 1er satellite a été perdu lors de son lancement (mission Vega VV15 en juillet 2019) mais le second a pu être placé en orbite par une fusée russe Soyouz tirée depuis Kourou en décembre 2020.
  • Outre ce programme de satellites, les EAU ont lancé un programme d’astronautes à compter de 2017 et ont sélectionné deux paires d’astronautes. La première paire était constituée de deux officiers issus des forces armées destinés à séjourner plus ou moins longtemps dans la station spatiale internationale  :  un pilote de F16 et pilote d’essai, n’ayant effectué qu’une mission express (9 jours) dans l’ISS, sans grand intérêt scientifique ou technologique, en profitant d’un golden seat « chèrement » acquis auprès de l’agence russe RosCosmos ; et un ingénieur en télécom du corps des transmission expert en cybersécurité», Sultan Al Neyadi, lequel se trouve actuellement à abord de l’ISS pour 6 mois, jusqu’en septembre 2023 (soit la plus longue mission – spatiale – arabe à ce jour). Ce « Thomas Pesquet » émirati appartient au cercle très fermé des astronautes ou cosmonautes ayant effectué une sortie dans l’espace (EVA), exploit réalisé le 28 avril dernier. Une seconde paire est à l’entraînement, composée d’un autre pilote (de la police cette fois, pour ne pas froisser la susceptibilité des divers organes de sécurité corps) et d’une ingénieure mécanicienne, Nora Al Matrooshi, travaillant au sein de la National Petroleum Construction Company. Cette dernière devrait dans les toutes prochaines années devenir la première femme astronaute arabe (et peut-être même fouler le sol lunaire à l’horizon 2030 suite l’adhésion en juin 2020 des EAU au programme lunaire Artemis).
  • En parallèle, les Emiratis ont développé un très ambitieux programme d’exploration spatiale. Si la mission lunaire Emitares Lunar Mission (le programme de rover Rashid de la mission Hakuto-R) a échouée, les EAU peuvent néanmoins se vanter de la réussite de la mission d’exploration martienne (Emirates Mars Mission), la toute première mission interplanétaire arabe, en orbite autour de la planète rouge depuis 2021. Son objectif est de réaliser la première analyse complète de l’atmosphère martienne, afin de mieux comprendre les dynamiques climatiques de la planète et contribuer, très significativement, à l’effort de recherche internationale concernant la planète rouge. Mais les Emirats ne comptent pas en rester, et dépassant ou rivalisant avec les « visions » Elon Musk concernant l’expansionnisme interstellaire de l’espèce humaine, envisagent d’implanter en 2117 la toute première installation humaine permanente sur le sol martien.

Un tel projet relève largement de la science fiction, mais on y retrouve pleinement l’approche « technophile » qui ressort des expositions du Musée du futur de Dubaï : une vison « optimiste » du progrès scientifique, de l’innovation technologique et de l’intelligence humaine (au moins pour quelques happy few, une vision idyllique que l’on peut ne pas totalement partager).  Il n’en demeure pas moins qu’à rebours de l’imaginaire développé par les grosses productions hollywoodiennes évoquant l’aventure spatiale, composée de « right stuff boys » occidentaux, avec, ponctuellement quelques fortes individualités féminines, la réalité des prochaines avancées spatiales humaines pourrait être le fait d’explorateurs chinois, indiens, arabes, voire africains (il sera intéressant de voir à qui s’adresseront à l’avenir les projets de coopération spatiale proposés par la Chine). Dans le domaine spatial, comme dans bien d’autres, il se faut préparer au déclin de l’hégémonie occidentale traditionnelle.