Le décompte des jours se fait plus pressant et plus stressant avant l’investiture, imminente, de Donald Trump pour un second mandat. Lequel s’annonce chaque jour davantage plus disruptif que son premier séjour à la Maison-Blanche. Dans de nombreux domaines, avant même son retour effectif au pouvoir, l’impact de son élection en novembre dernier se fait déjà sentir, libérant nombre de comportements pernicieux et augurant des ruptures aussi nettes que profondes avec certaines pratiques ou engagements qui prévalaient précédemment. C’est particulièrement le cas dans le secteur de la finance verte, élément pourtant primordial pour la réussite des efforts d’adaptation des économies contemporaines au changement climatique qui se profile.
Courant décembre, en l’espace de quelques semaines, plusieurs grandes banques américaines (Goldman Sachs, Wells Fargo, Citigroup, Bank of America et Morgan Stanley, la dernière en date, pesant ensemble quelque 10 400 Mds$ d’actifs) ont annoncé leur retrait de la Net Zero Banking Alliance (NZBA), l’une des (rares) avancées concrètes mises en œuvre lors des dernières COP, en l’occurrence celle de Glasgow à l’automne 2021. Une initiative destinée à favoriser le financement privé de la « transition verte » des économies contemporaines. Et un « vrai » marqueur de la conversion effective du monde des affaires à ce grand impératif planétaire. Depuis lors, 144 banques, dont près d’une moitié d’institutions européennes et britanniques, se sont engagées à contribuer, par le fléchage de leur prêts et investissements, à la réalisation de l’objectif de zéro émission de GES d’ici 2050, conformément aux engagements pris lors des accords de Paris de 2015.
Si la concrétisation de telles belles promesses s’avère délicate pour nombre de signataires, ceux-ci sont en permanence aiguillonnés et évalués via un suivi méticuleux de leurs décisions effectué par plusieurs ONG et think tanks spécialisés (Reclaim Finance, Share Action…). En dépit de résultats souvent mitigés (encore 705 Mds$ investis dans les énergies fossiles en 2023) et un rythme de transition jugé trop lent, l’ambition initiale était toujours là, demeurait régulièrement réaffirmée et s’inscrivait dans une dynamique – certes insuffisante, mais « globalement positive ». Jusqu’en novembre dernier !
Une volonté d’en finir avec le capitalisme woke
L’élection de Trump a fait tomber les masques, mis à bas nombre de tartufferies et incite bien des protagonistes à revenir à un « vrai business » libéré de toutes contraintes normatives, politiquement correctes mais que d’aucuns jugeaient économiquement « pesantes ». Ce revirement était d’autant plus urgent que ces institutions bancaires étaient depuis de longs mois dans le collimateur du camp républicain, intimement lié au puissant et influent secteur extractif, avide de pouvoir bénéficier, à nouveau, d’abondantes sources de financement au profit de leurs projets (« climaticides ») de développement. Outre les banques, qui ont rapidement capitulé en rase campagne, les prochaines cibles du lobby extractiviste devraient être les grands gestionnaires d’actifs américains, en particulier les Big Three (BlackRock, Vanguard et State Street), soumis à de très fortes pressions pour abjurer leurs engagements environnementaux. Ces derniers ne devraient pas être trop difficiles à convaincre, entre aspirations profondes de leurs actionnaires à toujours plus de dividendes, intimidations judicaires et menaces politiques.
En officialisant, en quelques dizaines de jours, leur retrait de la NZBA, les institutions financières américaines brisent délibérément (et unilatéralement) une fragile dynamique vertueuse. Elles tournent ouvertement le dos aux critères ESG (Environmental, Social, Governance), devenus au cours de la décennie écoulée des facteurs majeurs dans le montage de nombreux dossiers d’investissement. Elles entendent surtout rompre avec le woke capitalism et le consensus – perçu comme « trop bien-pensant » – prévalant jusqu’alors en matière de lutte contre le changement climatique, au détriment des énergies fossiles. Le temps de l’extractivisme honteux est révolu !
Tous ces banquiers ont fait leur le mot d’ordre trumpiste, répété jusqu’à plus soif durant la campagne électorale, « Drill, baby ; drill ! ». Et pour forer à tour de bras, il faut de l’argent que les engagements pris dans le cadre de la NZBA empêchaient de prêter. Trump élu, il était désormais impératif de se libérer de telles chaînes entravant la bonne marche des affaires. Ce coup d’éclat / coup de poignard ne devrait pas rester sans suite. Il est à parier que nombre de banques australiennes et asiatiques vont prochainement imiter leurs consœurs américaines, au vu de l’addiction des économies de la zone indo-pacifique aux énergies fossiles, et en premier lieu au charbon. À terme, la NZBA ne devrait plus concerner que des banques européennes et britanniques, avant que quelques influenceurs patentés bruxellois ne s’époumonent à dénoncer des freins à la croissance et à la productivité bridant le secteur financier du Vieux Continent, et appellent à mettre au rancart ces « boulets normatifs ». Dans la période trumpiste mondialisée qui s’annonce, l’impératif de dérégulation devrait primer sur le coût environnemental de l’activité économique et l’accélération du dépassement des limites planétaires, en fermant les yeux sur les dévastations qui vont s’en suivre. Mais tout doit être fait pour ne pas désespérer Wall Street !
Le climato-scepticisme contre-attaque !
Ce revirement des milieux financiers d’outre-Atlantique ne constitue que l’énième indice d’une tendance croissante, fortement perceptible depuis environ 18 mois, d’un regain de climato-scepticisme dans divers milieux décisionnels, économiques et politiques. Une tendance qui surfe sur une vague quasi irrépressible de fake news climato-sceptiques « à gogo » florissant sur des réseaux sociaux de moins en moins régulés. Le repositionnement des banques américaines a été précédé par le rétropédalage en matière de transition énergétique de plusieurs grandes firmes extractives (ExxonMobil, Shell, BP) qui ont annoncé ces derniers mois leur volonté de freiner leurs investissements en matière d’énergie renouvelable au profit d’une relance de leurs activités historiques dans les énergies fossiles. Ces spectaculaires marches arrière s’expliquent par les perspectives d’évolution de la demande (perçue comme toujours très forte, voire haussière selon certains analystes de l’OPEP) pour de telles énergies à l’horizon 2050 ; de la difficulté à maîtriser les contraintes du métier d’électricien quand on a été pétrolier et gazier pendant des décennies ; et des attentes de leurs actionnaires en termes de rentabilité. La décarbonation de l’économie attendra !
Au sein de l’agenda conservateur-extractiviste états-unien, l’idée est forte est de faire de 2025 « l’année de la mort définitive du net zéro », agonie censée être scandée par la fin de l’engagement de la finance US au sein de la NBZA ; la relance tous azimuts de la prospection pétro-gazière made in USA (en attendant le made in Canada & Greenland) et la (re)sortie de Washington des accords de Paris. Une sacrée année en perspective !
Mais ce retour en arrière ne se limite pas au pays de l’Oncle Sam. On observe également, de ce côté-ci de l’Atlantique, toute une série de régressions législatives et réglementaires, à Bruxelles comme à Paris, aboutissant à ralentir, voire contrecarrer, les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs prévus par les accords de Paris de 2015. Les instances européennes, surtout depuis les dernières élections de juin et l’évolution des rapports de force au sein du Parlement, tergiversent sur la mise en œuvre du Pacte vert, pourtant mesure phare crânement portée par la Commission voici à peine 2 ans. Depuis lors, le vent de l’immobilisme prévaut. On détricote, on suspend, on ralentit, on réévalue, on abdique, on gagne du temps, à la grande satisfaction de multiples lobbies et au détriment, in fine, du consommateur et du citoyen européen.
Pendant ce temps, le dépassement des limites planétaires se poursuit inexorablement et s’avère chaque jour plus évident et plus préoccupant. Bonne année 2025, quand même…