Eolien off-shore : le « petit miracle » français

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La France entend rattraper son retard dans les énergies renouvelables, en profitant tout particulièrement de son potentiel éolien off-shore. Elle dispose de sérieux atouts pour cela.

La transition énergétique visant à sortir de l’économie carbonée au profit d’énergies plus renouvelables (EnR) est au cœur des enjeux structurant les deux ou trois décennies à venir. Mais une sorte de révolution permanente agite déjà le secteur énergétique depuis le début du XXIème siècle, profondément marqué par l’exploitation des schistes bitumineux et la croissance du solaire photovoltaïque. Deux dimensions dans lesquelles l’Europe ne pèse plus que quantité négligeable, du fait de son refus d’exploiter les premiers pour des raisons environnementales et de l’éradication de ses filières industrielles pour le second face à l’agressivité des constructeurs chinois et l’angélisme libre-concurrentielle de la Commission européenne. Mais l’horizon de la souveraineté énergétique (et de là, industrielle) européenne n’est cependant pas totalement bouché. Le Vieux Continent est plutôt bien positionné dans la course à la relance du nucléaire (EPR et SMR) et dans celle au développement de l’hydrogène, si possible vert… Un autre secteur très prometteur en matière d’innovation, de performances, de transition, de rentabilité financière, de créations d’emplois et d’assise industrielle – tout en étant relativement consensuel au regard des enjeux environnementaux – est celui de l’éolien off-shore

Un eldorado maritime à conquérir

Si, pour l’heure, celui-ci ne fournit qu’une petite fraction de l’électricité produite dans le monde (moins de 1 %), son « poids » dans le mix énergétique ne va cesse de croître et de se multiplier au cours du prochain quart de siècle. Ce secteur devrait constituer à l’horizon 2050, selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), un marché de 1 000 milliards de dollars.

Cette « révolution de l’éolien off-shore » repose sur la possibilité de construire et d’exploiter en milieu marin des projets de grande taille et de forte puissance (> à 1000 MW, soit l’équivalent de celle d’un réacteur de centrale nucléaire), là où les installations terrestres – soumises à plus de contraintes économiques, environnementales, juridiques et sociétales – sont limitées en taille et puissance et éparpillées selon des logiques décentralisées. La plus puissante ferme éolienne entrée en service en 2022, le projet britannique Hornsea 2, développé en mer du Nord par la firme danoise Ørsted dispose d’une puissance cumulée de 1,32 GW fourni par 165 éoliennes de 8 MW chacune réparties sur une surface de 462 km² (l’équivalent de 64 000 terrains de football) à environ 40 nautiques au large des côtes du Yorkshire. Une méga-installation appelée à se développer (via les projets Hornsea3 et Hornsea4) et qui confirme le rôle du Royaume uni en tant que champion incontesté de l’éolien offshore en Europe et plus largement en Occident (Etats-Unis et Canada n’étant – pour l’heure – que des joueurs très modestes dans cette partie).

Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, le champion toute catégorie s’appelle la Chine, avec 25,6 GW de puissance cumulée opérationnelle fin 2022 (dont 6,8 GW de nouvelles capacités entrées en service au cours de l’année, réparties dans 29 nouvelles installations additionnant 1148 nouvelles éoliennes). L’Empire du Milieu se positionne loin devant les Britanniques (13,6 GW), les Allemands (8) et les autres riverains de la mer du Nord : les Pays-Bas (3 GW), le Danemark (2,3) et la Belgique (2,2). A noter l’arrivée en 2022 de la France dans la partie en tant que N° 7 mondial, à la suite du démarrage de l’exploitation du parc éolien installé au large de Saint-Nazaire, d’une puissance de 482 MW (fournis par 80 éoliennes). Soit la 4ème plus importante installation à l’échelle mondiale entrée en service en 2022.

Mais la partie ne fait que commencer. Si la toute première installation éolienne off-shore remonte à 1991 au Portugal, les investissements et les capacités de production dans ce domaine sont restés relativement marginaux jusqu’au début de la décennie 2020, ne s’accroissant que très modestement d’une année sur l’autre (de l’ordre de + 1 à + 5 GW par an de nouvelle puissance installée).  A ce rythme, le seuil des 30 GW de puissance installée cumulée à l’échelle mondiale n’a été franchi qu’en 2020. Mais 2021 s’est avérée une année totalement exceptionnelle, avec l’entrée en service de plus de 15,5 GW supplémentaires en l’espace de 12 mois, soit une augmentation de près de 50% du potentiel mondial modestement installé depuis 30 ans. Un retour à un taux de croissance plus normalisé est survenu en 2022, avec « seulement » 9,4 GW (dont le premier site de taille industrielle français), permettant néanmoins de s’approcher du seuil des 60 GW de puissance installée à l’échelle mondiale (57,6), le seuil des 70GW devant être atteint vers la fin 2023 / début 2024, en raison des 12,7 GW en cours de construction à travers le monde. Parmi les projets en cours, figure la « super ferme éolienne » néerlandaise Hollandse Kust Zuid d’une puissance de 1,5 GW, appelée à devenir, pour, pour quelques années au moins, la plus puissante au monde.

La course à l’éolien off-shore est bel et bien lancée. L’organisme professionnel WFO (World Forum Offshore Wind) table sur pratiquement 520 GW installés en 2035, soit une capacité opérationnelle appelée à plus que décupler en moins d’une petite quinzaine d’année (2021/2035) :  18,4 nouveaux GW sont attendus en 2023, le seuil des 25 GW de nouvelles capacités annuelles sera atteint en 2025, celui des 40 pratiquement atteint en 2029 et l’accroissement des capacités mondiales devrait atteindre un rythme de 45 nouveaux GW en moyenne annuelle entre 2030 à 2035. Dans le même temps, le nombre de pays se lançant dans une telle aventure de manière industrielle devrait augmenter significativement et plus d’une vingtaine de pays devraient disposer en 2035 de capacités supérieures à 1GW, contre seulement 6 actuellement. En parallèle, les coûts de fabrication et de maintenance devraient fortement baisser ; la puissance des éoliennes croître spectaculairement (General Electric travaille à une nouvelle version optimisée de son éolienne marine Haliade-X pouvant atteindre une puissance de 18 MW quand celles des éoliennes du début de la décennie 2010 n’atteignait que 6 MW) et des projets de « super wind farms » sont en cours de développement, comme le projet britannique Dogger Bank dont la capacité installée totale sera de 3 600 mégawatts, l’équivalent de deux EPR nucléaires mais avec des délais de construction et des contraintes de maintenance nettement moindres. Le tout laisse augurer une baisse significative de l’électricité produite (< 45€/MWh attendus sur certains sites français à l’horizon 2030).

De telles perspectives incitent la Commission européenne à plaider très activement en faveur d’une telle solution énergétique et d’évoquer un objectif de 300 GW installés en Europe à l’horizon 2050. Un objectif ambitieux mais réalisable en raison des conditions géomorphologiques et météorologiques très favorables prévalant le long des littoraux européens mais aussi de l’existence d’une base industrielle européenne (encore) performante, tant dans le domaine de la R&D que de celui de la fabrication et de l’exploitation. Une base industrielle en pleine essor, entre « pure players » historiques (Equinor, Ørsted, Plenitude, Vatenfall, Vestas… ) et poids lourds d’autres secteurs aspirant à se repositionner sur ce créneau porteur (de BP à Totalenergies, en passant par Navantia, les Chantiers de l’Atlantique, ou encore EDF et RWE dans le domaine de l’électricité). Autant de protagonistes prêts à en découdre et à résister aux champions asiatiques, et chinois tout particulièrement (China State Shipbuilding Corporation /CSSC ; MingYang Smart Energy ;   Goldwind…), très actifs et performants en la matière.

La France éolienne : de cancre à futur cador ?

La France, qui possède le second domaine maritime au monde (11 millions de km²) et le premier linéaire côtier européen apparaît particulièrement bien outillée pour relever un tel défi. Mais pour des raisons variées, l’Hexagone a accumulé un retard affligeant par rapport à ses principaux voisins européens, entre avalanche de recours juridiques, longueurs des procédures et actions opaques de divers lobbies agissant en faveur d’intérêts spécifiques à l’encontre de l’intérêt commun. Cette période semble toucher à sa fin :  outre la toute récente entrée en service du parc de Saint Nazaire (un investissement d’un montant de 2 Mds d’€), pas moins de 4 nouveaux parcs sont en construction ou ont été attribués (le dernier le 27 mars dernier, dit « Centre-Manche », s’étirant entre la péninsule du Cotentin et la baie de Seine) et une demi-douzaine d’autres sont en projet sur les façades atlantique et méditerranéenne. L’Exécutif, via la seconde période de la PPE (2024-2028) et surtout la loi Energie-Climat entend s’engager à marche forcée dans cette voie et attribuer par appel d’offre 2 GW chaque année jusqu’en 2028 puis à 2,5 GW par an jusqu’en 2050.

Un programme qui devrait permettre dans un premier temps de rattraper la Belgique (on a les objectifs que l’on peut …) puis de se hisser à l’horizon 2035 comme dauphin des Britanniques qui misent énormément sur ce secteur. Paris projette de disposer en 2050, en plus de 37 GW d’éolien terrestre, de 40 GW d’éolien off-shore répartis sur une cinquantaine de sites, de quoi couvrir jusqu’à 25% de la consommation finale d’électricité à cette date. En la matière, le potentiel offert par le littoral français est estimé à 220 GW (80 d’éolien off-shore posé, répartis sur 10 000 km², et 140 GW d’éolien flottant, répartis sur 25 000 km², selon les estimations réalisées par l’Ademe et France Energie Eolienne).

Ce « décollage spectaculaire » qui se profile constitue une sorte de « miracle français » : en dépit des obstacles divers mis au développement de la filière et aux retards accumulés, un écosystème industriel tricolore est parvenu à émerger et survivre ces dernières années, combinant « jeunes pousses »(Eolink,  BW Ideol, Ocean Winds, Qair), acteurs majeurs se repositionnant sur ce marché d’avenir (EDF, Engie, Totalenergies, Chantiers Navals de l’Atlantique) et filiales tricolores de grands opérateurs étrangers (General Electric /GE, Siemens-Gamesa, Iberdrola, Vattenfall…). Une filière industrielle toute nouvelle qui permet d’assurer la reconversion de plusieurs sites portuaires au Havre, à Cherbourg, Montoir mais aussi à Fos sur Mer et à Port-La Nouvelle en Méditerranée, où s’élaborent des pans entiers de « l’économie bleue » et plusieurs dizaines de milliers d’emplois industriels à l’horizon 2035. La France dispose ainsi de près d’un tiers des capacités de production de pales et de nacelles équipant les éoliennes du Vieux Continent, en dépit de la faiblesse de ses équipements off-shore. Et les industriels français se montrent également performants dans le domaine très prometteur de l’éolien flottant, encore expérimental mais en passe d’atteindre une maturité technologique permettant d’envisager une phase industrielle d’ici la fin de la décennie.

Une solution technique qui assure un « facteur de charge » (le « temps utile » de production rapporté au maximum théorique de production) bien plus élevé qu’à terre en raison d’une moindre intermittence des périodes ventées ; mais surtout qui permettra d’installer des équipements par grands fonds (sachant que 80 % des ressources éoliennes offshore se trouvent dans des mers de plus de 60 mètres de profondeur). Ces installations flottantes apparaissent particulièrement bien adaptées en Méditerranée (le golfe du Lion abritant les gisements éoliens les plus prometteurs de Mare Nostrum) et en haute -mer, en permettant de s’implanter dans les secteurs les plus venteux situés bien au-delà du plateau continental (le parc éolien est alors qualifié de « farshore » / loin des côtes), tout en réduisant les conflits avec d’autres usagers des espaces maritimes. Ces 40 GW projetés, outre l’approvisionnement du réseau électrique, devraient également servir à faire tourner des catalyseurs permettant de produire de l’hydrogène verte, un autre grand marché crucial des 15 prochaines années.  La filière française de l’éolien off-shore semble ainsi promise à connaitre une « success story » si des lobbies rancuniers ne parviennent pas à la torpiller en route… Mais au-delà de son intérêt économique et énergétique, le développement de l’éolien off-shore génère divers sujets de préoccupation, résultant de sa logique d’appropriation d’espaces maritimes jusqu’alors libres et vierges. La multiplication des parcs éoliens fragilise d’autres secteurs d’activités maritimes (pêche, transport maritime, plaisance), remet de facto en cause certains fondements du droit de la mer, accentue les risques pour la navigation et fait apparaître de nouvelles problématiques sécuritaires. Des faces cachées et sombres de l’éolien off-shore sur lesquelles nous reviendrons dans un prochain article.