INNOVATION TECHNO-POLITIQUE : la Bretagne, puissance spatiale ?

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L’affirmation apparaît étonnante pour une région dont le dynamisme économique repose, en grande partie, sur l’économie bleue et la filière agroalimentaire. Les nostalgiques des PTT et de France Télécom peuvent bien évoquer le rôle pionnier du téléport de Plemeur-Bodou dans les transmissions satellitaires transatlantiques quand d’autres insisteraient sur la construction en cours à Saint Nazaire de cargos véliques qui auront la charge de transporter vers Kourou des éléments des futures fusées Ariane. Mais pas de quoi tailler des croupières au puissant pole aérospatial toulousain…

Mais les choses pourraient changer à l’avenir. Pour preuve, la montée en puissance de la PME rennaise Unseenlabs, en passe de se doter d’ici 2025 d’une constellation de 20 à 25 nanosatellites destinés à la géolocalisation des navires en mer. Le 3 janvier, une fusée Falcon 9 de Space X a décollé de Cap Canaveral en Floride pour placer en orbite Bro 8 (Bro pour Breizh Recon Orbiter et 8 car 8ème satellite depuis le démarrage de la constellation en 2019), le 1er des six satellites que la firme d’Ile et Vilaine compte placer en orbite en 2023 (après deux tirs réussis en 2022). Un partenariat gagnant entre Elon Musk et les Bretons !

Fondée en 2015, Unseenlabs s’est positionnée sur le créneau de la récolte de données du trafic maritime mondial via sa constellation de nanosatellites. Elle a développé, en collaboration avec la firme allemande Exolaunch, une technologie reposant sur la captation des radiofréquences et la détection des ondes électromagnétiques émises par les appareils électroniques depuis la surface terrestre. Un savoir-faire qui peut tout particulièrement s’appliquer à la géolocalisation de navires en mer.

En théorie, l’OMI (Organisation Maritime Internationale) a inscrit dans le chapitre V de la convention SOLAS (Safety of life at sea) l’obligation depuis juillet 2007 à tout navire d’une jauge brute supérieure à 300 tonnes effectuant des voyages internationaux d’être équipé d’un dispositif AIS (Automatic Identification System) permettant d’identifier le navire (nom, type, nationalité, vitesse, cap…) et de le visualiser par les systèmes de surveillance du trafic (du type CROSS en France). Mais dans la pratique, les capitaines peuvent débrancher, dans de très nombreuses occasions, leur transpondeur AIS « trop curieux » et « disparaître des écrans », généralement pour se livrer à des pratiques douteuses, voire franchement frauduleuses : pêche illégale, transbordement de marchandises et contournement de sanctions, oil bunkering, trafic en tous genres, soutien à la piraterie, dégazage et autres activités polluantes…

De telles pratiques peuvent actuellement être observées en Méditerranée, de la part de pétroliers transbordant du pétrole russe, soumis à sanctions européennes. On l’observe également très régulièrement en mer d’Arabie ou encore dans le Golfe de Guinée, de la part de navires usines (chinois, russes, ukrainiens…) opérant clandestinement pour piller les ressources halieutiques des pays riverains ; de bateaux mères soutenant des embarcations rapides de pirates s’attaquant au trafic maritime ou de la part de pétroliers fantômes transbordant du pétrole nigérian de contrebande détournés par de puissants réseaux criminels. On estimait au milieu des années 2010 que près d’un quart de l’approvisionnement de la raffinerie d’Abidjan, la plus grande d’Afrique de l’ouest, était constitué de ce « ghost oil », pour le plus grand bénéfice de quelques politiciens et amiraux nigérians et officiels ivoiriens.

La solution technique proposée par Unseenlabs permet de continuer à localiser ces navires se voulant discrets, même si leur AIS est en panne ou débranché, en parvenant à capter les signaux électromagnétiques émis par les autres appareils du bord, quelles que soient les conditions météorologiques. Un tel savoir-faire intéresse tout autant pouvoirs publics en charge de l’action de l’Etat en mer, armateurs, assureurs qu’ONG…

Les Etat côtiers peuvent ainsi optimiser l’emploi de leurs moyens aériens et navals (souvent en nombre très limité dans les pays africains) pour cibler, arraisonner et sanctionner les navires aux comportements suspects dans leurs ZEE et contribuer à l’amélioration des conditions de sécurité dans des zones maritimes troublées. Un atout de taille au regard des enjeux sécuritaires maritimes qui se profilent dans les prochaines décennies, entre pillage des ressources halieutiques, nouvelles formes d’exploitation des océans, menaces pesant sur les réseaux de câbles sous-marins, multiples déclinaisons de la criminalité maritime, montée du niveau de la mer, immersion de certains îles et segments littoraux, réfugiés climatiques… Plus que jamais, la traçabilité en temps réel – de navires en l’occurrence – va s’avérer primordiale.