LE MONDE QUI VIENT : Fable japonaise : Panasonic, l’autocuiseur et les centenaires….

Évolution de la population
Évolution de la population
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Début janvier 2023, Panasonic a annoncé le transfert à compter de juin prochain de sa ligne de production d’autocuiseur de riz du Japon en Chine (à Hangzhou, confirmant cette ville chinoise comme capitale mondiale de l’autocuiseur de riz). Un transfert mettant fin à la production dans l’archipel du produit phare de sa gamme électroménager depuis 1956. Une success story qui lui avait permis de se diversifier au fil des décennies dans l’électronique grand public et le secteur digital et devenir le géant qu’il est. Une (petite) page de 60 ans de l’histoire industrielle du Japon est en passe de se tourner. Les coûts de production dans l’archipel devenaient trop onéreux pour une gamme de produits à la valeur ajoutée faible, d’autant que les ventes déclinaient tendanciellement sous le double effet du changement de goût culinaire des jeunes générations (moins addictives au riz et à sa cuisson, déculturation occidentale oblige, la consommation japonaise de riz ayant chuté de 50% depuis les années 60) et du déclin démographique du pays. Lequel perd chaque année depuis plus d’une décennie des centaines de milliers d’utilisateurs âgés d’autocuiseurs qui ne sont que très partiellement remplacés.

Car le Japon est le (grand) pays dont la moyenne d’âge (48,6 ans) est la plus élevée au monde, seul Monaco (55,4 ans) faisant pire. Il préfigure l’évolution démographique qui attend l’Europe au cours des deux prochaines décennies et toutes les conséquences qui en résultent (envolée des dépenses de santé, poids des retraites, flambée de la silver economy, évolution du ratio actifs / inactifs, conservatisme électoral, faible dynamisme social…).

L’archipel détient le record mondial de centenaires avec plus de 90 000 personnes ayant atteint au 1er septembre 2022 cet âge canonique. En 1960, on en comptait qu’une petite centaine. Le seuil du millier a été franchi en 1981, celui des 10 000 en 1998 et celui des 100 000 devrait être atteint à l’horizon 2025, au rythme de croissance actuel, soit près de 4000 nouveaux mais surtout nouvelles élu(e)s par an ; les femmes représentant près de 90% de cette catégorie d’âge. Le doyen des Japonais est de ce fait une doyenne, âgée de 115 ans en ce début 2023.

Cette abondance de centenaires illustre deux tendances lourdes de la démographie japonaise : le vieillissement de la population (les plus de 65 ans comptant pour 29,18% de la population générale, soit 18,674 millions de personnes alors que les moins de 25 ans ne pèsent qu’à peine plus de 22%) mais surtout son déclin quantitatif. Depuis 2010, soit depuis 11 année consécutives, la population japonaise ne cesse de baisser. Et cela à un rythme de plus en plus accentué, atteignant un taux de – 0,51% en 2021, soit une ponction de 664 000 Japonais au cours des 12 derniers mois écoulés. Un total qui a fait rebasculer la population nippone sous le seuil des 125 millions d’habitants.

Ce déclin s’explique par une chute de la croissance naturelle de la population, le taux de mortalité (11,59 décès pour 1000 habitants) étant largement supérieur au taux de natalité (6,95 naissances pour 1000 habitants), soit un différentiel de 609 000 personnes en 2021. Un différentiel qui tend à se creuser, s’accroissant de 100 000 personnes d’une année sur l’autre depuis le début de la décennie 2020. A cela, s’ajoute en 2021 une diminution nette des flux migratoires, avec 35 000 départs de plus que d’arrivées dans l’archipel, sachant que le pays s’avère très rétif à toute émigration étrangère. La combinaison des deux phénomènes aboutit ainsi au chiffre de – 644 000 personnes évoqué plus haut.

La population en âge de travailler (les 15 / 64 ans) n’est plus que de 74,5 millions, soit moins de 60% de la population globale (59,4% précisément, le pourcentage le plus faible jamais enregistré), soit une baisse de 584 000 personnes entre 2020 et 2021. Et le nombre des plus de 65 ans, qui représentent 27,2% de la population actuellement, devrait s’élever à 40% en 2065. Cela pose la question du poids et du financement des retraites dans l’archipel, le nombre d’actifs apparaissant devoir drastiquement décliner d’ici 2060 (de près de 66 millions au début de la décennie 2010 à 38 millions de personnes en 2060). Parmi les nombreuses conséquences négatives d’une telle courbe démographique, il est à noter que l’âge moyen des chefs d’entreprise au Japon s’élève désormais à 60,3 ans, alors qu’il n’était que de 54 ans en 1990. Plus de 20% des entrepreneurs nippons ont plus de 70 ans. De quoi s’interroger sur la capacité de ces décideurs âgés à bien appréhender les enjeux liés à l’évolution de l’économie mais aussi de l’innovation technologique et des changements environnementaux en cours.

Ces tendances démographiques constituent un talon d’Achille pour l’économie nippone pour les prochaines décennies. Le taux de fécondité dans l’archipel n’est plus que de 1,34%, bien loin des 2,1 nécessaires au renouvellement des générations. Mais ce n’est pas le « plus pire » de la région : la Chine (1,15), Taïwan (0,97) et surtout la Corée du sud (0,81) sont dans des situations encore plus alarmantes. Au regard de ces taux, une étude récente de l’INED (Institut national de la démographie) prévoit à l’horizon 2050 un spectaculaire « baby krach » dans toute cette partie de l’Asie orientale, le vieillissement de ces pays s’accompagnant d’une baisse vertigineuse de leurs populations (- 110 millions en Chine, – 20 millions au Japon, – 6 en Corée et – 2 à Taïwan). De quoi s’interroger sur le devenir du dynamisme économique de toute la région face à une Asie du sud en pleine croissance démographique.